EDWARD'S LECTURE NOTES:
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C O U R S E 
Introduction à la philosophie de Friedrich Nietzsche
Alexandre Dupeyrix, Sorbonne Université
https://www.edx.org/course/introduction-a-la-philosophie-de-friedrich-nietzsche
C O U R S E   L E C T U R E 
La vie de Nietzsche jusqu'à Bâle
Notes taken on September 30, 2019 by Edward Tanguay
Friedrich Nietzsche est né le 15 octobre 1844 à Röcken une petite ville d'Allemagne, située près de Leipzig
l'Allemagne d'alors est un Etat encore en formation
le Saint Empire romain germanique, constitué d'une multitude d'Etats, a été dissous en 1806, pendant les guerres napoléoniennes
l'Allemagne va être unifiée en 1871, sous l'égide de Bismarck et de la Prusse
– ces événements sont importants car ils constituent la toile de fond historique de la philosophie de Nietzsche et l'on retrouve de nombreuses allusions dans son oeuvre, notamment une critique assez féroce du nationalisme allemand
en tout cas, en 1844, à la naissance de Nietzsche, l'Allemagne se trouve dans une forme institutionnelle intermédiaire, elle s'appelle la Confédération germanique (« der deutsche Bund »)
elle rassemble un peu moins de quarante Etats, dont le plus important est la Prusse
Röcken se trouve alors en Prusse
Nietzsche est un sujet prussien
le père de Nietzsche, Karl-Ludwig, est pasteur
il épouse en 1843 une fille de pasteur, la fille d'un de ses collègues, Franziska Oehler
de cette union naissent trois enfants : Friedrich-Wilhelm, en 1844, Elisabeth en 1846 et Joseph en 1848
les premières années de la vie de Friedrich sont marquées, de manière indélébile, par deux disparitions
d'abord celle de son père
Friedrich a alors à peine 5 ans
Karl-Ludwig contracte une maladie dans l'été 1848 et perd en quelques mois ses facultés
le diagnostic établi à l'époque fait état d'un « ramollissement cérébral »
la légende familiale, certainement propagée par la mère et la soeur de Nietzsche, qui deviendront expertes, comme l'on sait, dans l'art de la mystification, évoque pudiquement une chute dans l'escalier aux conséquences fatales
Nietzsche considère en tout cas que le lien noué avec son père dans ces premières années fut essentiel pour lui, constitutif de sa personnalité
très tôt, dans des textes écrits à l'adolescence, Nietzsche exprime une sensibilité pour les liens de filiation, il s'interroge sur la transmission entre générations d'aptitudes, de talents, de caractères
plus tard, il écrira dans une lettre à l'un de ses proches amis, Franz Overbeck, qu'il a hérité du sens de la compassion de son père
« La pitié est mon plus grand danger peut-être une conséquence de la nature extraordinaire de mon père que tous ceux qui l'ont connu rangeaient plutôt parmi les anges que parmi les hommes.»
remarquons au passage que ce thème de la pitié, et son ambivalence – est-ce positivement de la compassion
ou bien, négativement, de la commisération, une forme de mépris ? - sera un fil rouge à travers l'oeuvre de Nietzsche – et le coeur de sa critique du christianisme
Friedrich décrit ailleurs son père comme un être « frêle, gentil et maladif, comme un être destiné à passer – plus un aimable souvenir de la vie que la vie elle-même »
la mort précoce de son père, disparu à 36 ans, va le hanter toute sa vie
il a d'ailleurs l'intime conviction d'être condamné à vivre le même destin – et c'est du reste prémonitoire
dans Ecce Homo, son autobiographie, il considère qu'il a lui-même entamé un inexorable déclin précisément à l'âge où son père est mort
mais, de manière typique, il fait de cette vulnérabilité congénitale, de ce destin tragique, un élément d'autodéfinition et un présupposé de sa philosophie
il écrit : « Je suis déjà mort en la personne de mon père ; dans celle de ma mère, je vis encore et je vieillis
cette double origine, en quelque sorte au premier et au dernier échelon de la vie, à la fois décadent et commencement, voilà qui, mieux que tout, explique cette neutralité, cette absence de parti pris à l'égard du problème de la vie dans son ensemble qui me caractérise peut-être »
la seconde disparition, dans ces mêmes années, c'est la mort de son petit frère, Joseph, en février, des suites d'une inflammation dentaire
Friedrich rapporte, dans un texte émouvant, qu'il écrit à 14 ans, le rêve prémonitoire qu'il a fait la nuit précédant le drame :
« J'entendis dans l'église le son de l'orgue, comme à un enterrement. Et tandis que j'en cherchais la cause, une tombe s'ouvrit soudain et mon père en sortit, vêtu de son linceul
il marcha à grands pas vers l'église et revint bientôt avec un petit enfant dans les bras
la tombe s'ouvrit à nouveau, mon père y descendit et la pierre se referma
aussitôt le grondement de l'orgue se tut et je m'éveillai
le jour qui suivit cette nuit, mon petit frère Joseph tomba brusquement malade, il eut des convulsions et mourut en quelques heures
notre peine fut terrible
mon rêve s'était totalement réalisé »
quelle que soit la véracité de ce rêve, il est évident que ces deux morts, convoquées dans ce même récit, ont profondément marqué le jeune Nietzsche et ont déterminé en partie sa biographie
après le décès du père, la famille quitte Röcken et s'installe à un heure de là, à Naumburg, où le jeune Friedrich va grandir, entourée de femmes : sa mère, sa sœur, sa grand-mère et ses deux tantes
les témoignages de cette époque présentent Nietzsche comme un petit garçon à part, solitaire mélancolique, très sage, très obéissant, capable de réciter par coeur des versets entiers de la Bible – ce qui lui vaut le surnom de « petit pasteur »
il est en même temps intégré à la bonne société de Naumburg et se lie d'amitié avec deux fils de notables, Wilhelm Pinder et Gustav Krug
avec eux, il s'initie à la musique et à la littérature
lorsqu'il a 14 ans, en 1858, commence une étape essentielle de son éducation et de sa formation : pendant six ans Friedrich est interne au collège royal de Pforta, situé à une heure de marche de Naumburg et il y reçoit une formation très exigeante dans les « humanités classiques »
le collège de Pforta est un collège réputé et très élitiste qui forme essentiellement de futurs enseignants
c'est un véritable Etat scolaire avec cloître, église, très protégé de l'extérieur, soustrait à toute agitation politique qui vit dans le Temps suspendu de la Grèce et de la Rome antiques
dans le règlement intérieur : « Les parents cèdent la totalité de leurs droits parentaux à cette institution afin qu'elle se charge de l'éducation, tant morale que spirituelle, de ces enfants »
dans ce cadre très contraignant, à la discipline presque militaire, le jeune Nietzsche assimile la culture classique
essentiellement les grands auteurs latins et grecs, la littérature allemande, il apprend aussi un peu d'hébreu, de français, d'italien, d'anglais
il n'est pas très doué pour le dessin et les arts plastiques
Nietzsche est un très bon élève, mais pas toujours le meilleur
Nietzsche achève sa scolarité à Pforta en 1864, il a alors 20 ans
il portera un regard positif et reconnaissant sur ces années de formation
il estimera que la discipline, la rigueur, la maîtrise de soi exigées par l'institution scolaire sont seules à même de produire des personnalités fortes, résistantes, capables d'autodépassement, tant physiquement que mentalement
voici ce qui distingue la dure école de toute autre bonne école : que l'on y exige beaucoup ; que l'on exige avec sévérité ; que le bon, l'exceptionnel même, y est exigé comme normal ; que la louange y est rare, que l'indulgence y est absente ; que le blâme s'y fait entendre durement et en toute objectivité
une telle école est nécessaire à tous points de vue : cela vaut pour ce qu'il y a de plus corporel comme pour ce qu'il y a de plus intellectuel »
Bonn
après Pforta, Nietzsche commence ses études à l'université de Bonn
il s'inscrit d'abord en théologie pour faire plaisir à sa mère
mais ce qui l'intéresse dans les cours de théologie, c'est la critique philologique des textes religieux
au bout d'un semestre, il change de matière et passe en philologie classique
il fait une rencontre importante, celle du professeur Friedrich Ritschl, à qui il devra le lancement de sa carrière et sa nomination à l'université de Bâle et pour lequel il nourrira toute sa vie une profonde estime
Leipzig
Ritschl étant nommé en 1865 à l'université de Leipzig, Nietzsche décide de le suivre et de continuer ses études à Leipzig
1. Nietzsche approfondit sa connaissance de la philologie, dont il va faire son métier
ce qui l'intéresse n'est pas tant le contenu des enseignements (d'ailleurs, souvent, il n'assiste pas aux cours jusqu'au bout) que la forme de ces enseignements : comment un professeur transmet son savoir, quelle est sa méthode, quel type de pédagogue, d'éducateur il incarne
lui-même aura cette ambition d'être un éducateur
Nietzsche critique l'érudition qui se prend pour sa propre fin et qui ne cherche pas à saisir la compréhension d'ensemble, le réseau de significations dont on est constituée une période historique donnée
pour Nietzsche, le but de la philologie, c'est de servir le présent
c'est de montrer le modèle d'achèvement culturel qu'était l'Homme de l'Antiquité et dont les Allemands doivent s'inspirer pour régénérer l'Allemagne contemporaine
2. la découverte de l'ouvrage d'Arthur Schopenhauer
Le monde comme volonté et comme représentation, en octobre 1865
chez un boutiquier à côté de chez lui
c'est une révélation
Nietzsche a le sentiment de se retrouver dans ce livre.
« Je tenais ici le miroir dans lequel se reflétaient sous mes yeux avec une terrifiante majesté le monde, l'existence et mon propre cœur. »
Schopenhauer lui permet de donner corps à ses premières réflexions sur le tragique de l'existence –réflexions qu'il reprendra quelques années plus tard à travers l'analyse du rôle de la musique chez les Grecs
3. en octobre 1868, Nietzsche assiste à Leipzig à un concert où sont joués le prélude de Tristan et l'ouverture des Maîtres chanteurs de Richard Wagner
il est absolument conquis par cette musique
« Il m'est absolument impossible de conserver une distance critique à l'égard de cette musique ; chaque fibre en moi, chaque nerf me lance, et il y a longtemps que je n'ai pas éprouvé un ravissement comparable à celui que m'a inspiré cette dernière ouverture »
par l'intermédiaire du professeur Ritschl, il a même l'occasion de rencontrer Wagner, lors d'un dîner le 8 nov. 1868
Nietzsche est fasciné par une personnalité originale et indépendante et absolument enchanté de constater qu'il partage avec Wagner le même enthousiasme pour Schopenhauer, le seul philosophe qui ait, selon lui, vraiment saisi l'essence de la musique
Bâle
au début de l'année 1869, Nietzsche est nommé professeur à la chaire de langue et littérature grecques de l'université de Bâle, sur les chaudes recommandations de Ritschl
il n'a pourtant pas encore les diplômes requis, pas de doctorat, mais les publications qu'il a réalisées lui permettent d'accéder au poste
Nietzsche voit en tout cas cette nomination comme une excellente occasion de se rapprocher de Wagner, qui vit depuis peu en Suisse, dans une petite ville à côté de Lucerne, qui s'appelle Tribschen